Il existe encore aujourd’hui de minuscules royaumes, où bêtes et gens vivent heureux, ignorant les tracas des émeutes et des guerres, les affres des dépressions économiques, les feuilles d’impôts, et l’horrible pollution des voitures, mille fois plus meurtrière que les fous de vitesse.
Ce royaume possède la Princesse la plus gracieuse, la plus aimable, la plus vive d’esprit et de cœur qui n’ait jamais existé dans les cours les plus somptueuses. Ses admirateurs la croient sportive, mais en réalité, elle fait corps avec la nature avec le charme d’une nymphe. C’est, dans la mer, une sirène que des gestes vifs et voluptueux, propulsent avec grâce. En montagne, elle devient un chamois espiègle et agile sautant de roche en roche. C’est un léopard, lorsqu’elle bondit avec la force et la précision d’un félin vers les balles de tennis. Elle ressemble à Pégase, lorsque, avec aisance et légèreté, elle enfourche son fringant coursier bouillonnant d’impatience, rapide comme le torrent et prompt comme l’aigle.
Ajoutez à cela l’aisance et le brio de l’artiste en toutes choses. Ses dessins et modelages enthousiasment les critiques. Son chant ensorcelle l’oreille. Le parfum de ses poésies réjouit les âmes les plus insensibles. Lorsqu’elle danse, mutine et nonchalante, avec une grâce exquise, elle décoche plus de traits dangereusement imprégnés du poison d’amour, que Cupidon n’en prodigua jamais.
Et parmi tous ceux qui languissent pour elle, le plus émouvant est un jeune adolescent : Parvizo. Sensible et timide, il l’admire comme une divinité inaccessible et lui dédie chaque jour de longs poèmes naïfs remplis de passion, de fraîcheur et d’amour.
Il ne cesse chaque seconde d’imaginer la présence, de celle qu’il adore. Elle est allongée à côté de lui, lorsque, couché dans les lavandes, il regarde le ciel d’azur. Elle s’abreuve, capricieuse, à la fraîche cascade, lorsque songeur et romantique, il demeure fasciné par les mille lucioles des gouttes d’eau rebondissantes. Elle est la fleur généreuse et il devient l’abeille dorée qui s’enivre des baisers du nectar et de l’étreinte suave du pollen. Elle caresse ses joues de la soie de ses cheveux et du miel de ses lèvres lorsque la bise du soir frôle son visage nostalgique. Elle gambade, rieuse et mutine, d’étoile en étoile, lorsqu’étendu sur le gazon, il s’endort les yeux ouverts comme un chérubin, dans la nuit bruissante de la mélodie des grillons. Mais lorsque l’obscurité indécise s’enfuit devant le soleil triomphant, le charme se rompt et Parvizo, désemparé, passe de l’espoir le plus fou à l’abattement le plus triste.
Alors il oublie d’aller courtiser ses roses, aux teintes de nacre et de corail. Il abandonne ses lis insolants et majestueux à la chenille vorace et à la soif atroce.
Il n’a même pas une caresse pour Nakori, le renard des sables apprivoisé, qui, imprégné du chagrin de son ami, se sent fondre de désespoir et glapit lamentablement
Il ne se recueille plus devant la statue d’argile de Zorina la déesse des amoureux, qui attend désespérément sa visite et ses prières au fond du parc.
Et puis, surtout, il ne veut plus jouer avec Minella, qui, depuis l’enfance, est l’amie tendre et enjouée de tous les instants.
Il en a même oublié que c’était aujourd’hui son anniversaire. Elle a quinze ans, tout comme lui. La voilà, adorable et rieuse, arrivant de son pas dansant, dans une robe de dentelles couverte de broderies.
C’est la plus adorable des adolescentes, avec son petit minois espiègle, son nez retroussé, ses yeux verts, lumineux comme l’aigue-marine, sa longue chevelure de jais, sa peau veloutée comme une corolle d’orchidée.
Seul Parvizo ne s’en aperçoit pas. Il est trop absorbé par sa peine. Il raconte son chagrin à l’oreille compatissante de sa compagne. Alors, Minella, avec l’énergie de la jeunesse lui démontre qu’il doit aller voir la princesse. Il mettra ses beaux atours, lui portera ses plus belles roses et ses lis les plus superbes. Il lui offrira Nakory, le fennec espiègle et joueur, en gage de tendresse. Jamais elle ne pourra résister à tant de grâces et à tant d’amour.
-« Mais, gémit le pauvre Parvizo, effrayé par tant d’audace, jamais je n’oserai lui parler. »
-« Oui, tu lui parleras et pour mieux te préparer à cette rencontre, tu vas t’entraîner. Supposes que je sois la Princesse. Voilà des roses dit-elle, en prenant des brins de paille et voilà Nakory, ajoute-t-elle, en lui donnant un caillou. Maintenant récite-moi des poésies, dis-moi ce que tu désires, je t’écoute ».
Hélas ! L’émotif Parvizo ne peut articuler un son ni faire un geste. Il demeure pétrifié comme une statue et finit par dire :
-« Non ! Non ! Jamais je n’oserai ! ».
-« Mais il faut absolument que tu essaies ».
Alors, tout doucement, Parvizo se met à balbutier malhabilement quelques vers. Puis sa voix devient plus hardie. Il s’agenouille devant Minella et lui clame tout son amour avec tant de feu que des larmes d’attendrissement coulent des paupières de la jeune fille émue.
En relevant les yeux, Parvizo s’en aperçoit. Tout doucement, il s’approche pour essuyer de ses lèvres ces gouttes de rosée au parfum amer comme l’oubli et doux comme le miel.
Puis, vibrant de passion et de tendresse, il dépose sur les lèvres virginales, un long baiser d’amour.
Fou de bonheur, il cueille ses plus belles roses et ses lis magnifiques et les remet avec Nakory, dans les bras de l’adolescente.
Il venait de conquérir sa princesse.
Ispahan – Septembre 1975
L’amour se flétrit quand l’imagination se meurt.
J-P B