19. Les roses du Chaperon rouge

Comme dans la fable du « Petit Chaperon Rouge », Balutina rend visite tous les samedis à sa grand-mère qui demeure à Baywater. Modernisme oblige, elle a dû renoncer à lui amener un bon pain de beurre de la campagne qui fleure délicieusement la crème fraîche car le médecin de l’aïeule a proscrit les matières grasses à cause du cholestérol. Pas de galette ni de confiture, non plus, à cause des caries dentaires. La gamine amène dans son panier de magnifiques poires Williams écologiques, (d’après les étiquettes) qui fondront délicieusement dans la bouche édentée. Avec les années, la fillette s’est transformée en une délicieuse jeune fille au minois adorable et au regard espiègle. Elle traverse Hyde Park de son pas dansant qui fait virevolter les dentelles de sa courte jupette. Elle était déjà à la mode l’année précédente mais l’est un peu trop ce matin-là ; car, entre temps, elle a beaucoup grandi… Les jambes fines et élancées prolongent le galbe voluptueux des cuisses hypnotisant le loup avide qui la suit à la trace. Pauvre petit loup, malhabile et boutonneux. Il a essayé cent fois d’adresser la parole à la déesse qui obnubile ses pensées, taraude ses chairs et perturbe délicieusement son sommeil. Mais à chaque fois, elle pose sur lui son regard souverain et railleur qui le laisse coi. Il bat alors en retraite et retourne meurtri chez ses parents à Marylebone. Il se console à dévorer des yeux quelques photographies, de l’objet de ses passions, prises en cachette avec son téléphone mobile.

Tard dans la nuit il s’assoupit puis se réveille en sursaut à cause d’un atroce cauchemar qui se répète de façon lancinante chaque nuit. Il se voit  commandant des gardes du palais de Buckingham.

Sûr de lui, vêtu d’un superbe uniforme qui moule sa puissante stature, il pénètre dans la salle du trône sous l’œil admiratif de la Reine. Arrivé devant sa Gracieuse Majesté, il se trouve subitement tout nu, gauche et honteux. La souveraine l’observe d’un regard amusé, mêlé de condescendance et de bienveillance. Pris de panique il s’enfuit, mortifié, poursuivi par les ricanements et les railleries du corps de garde. Il se réveille de méchante humeur, ruisselant de sueur et d’angoisse. Sa nuit est gâchée. Ce matin il se lève d’un pied revanchard et conquérant. C’en est trop. Il n’est plus un gamin. Il ne supporte plus le regard narquois de Balutina ni les railleries nocturnes de son Altesse Royale. Puisqu’il ne peut séduire la jeune fille par la douceur, il l’enlèvera par la force.

Pour être franc, cette solution musclée qui fait maintenant vibrer tout son être, n’a pas été entièrement  imaginée par lui. Après le Chaperon Rouge et le Loup, Lupino, la fable se complique avec l’arrivée du renard Volpior. La tignasse rousse, l’œil fureteur toujours aux aguets, le nez retroussé perpétuellement attentif à déceler quelque poulette, le torse bombé, la jambe tendue, notre aventurier est toujours prêt à tirer partie de toutes les situations même les plus scabreuses. Contrairement à Lupino, Volpior ne rêve pas d’offrir bravement sa vie pour la Reine. Sa mentalité de fox- terrier hargneux et comploteur le porte à se plaire dans un cabinet noir imaginaire, mêlant espionnage, finances et intrigues amoureuses et guerrières. Sa bible s’est le Who’s Who.

 Dès qu’un nom arrive à ses oreilles, il vérifie l’origine patronymique, étudie l’arbre généalogique et décortique le pedigree de sa future proie. Balutina n’a pas échappé à la règle sacrée.

Notre malfaisant détective en sait davantage sur les antécédents et la fortune de la famille de sa future victime que ne peut en connaître la jeune fille elle-même.

Volpior a vite découvert qu’un grand-oncle de son auguste lignée avait amassé un joyeux pécule aux Indes en prenant un soin très particulier à gérer à sa manière les intérêts de Maharadjas richissimes, mais qui ne le restèrent guère longtemps. Après avoir amassé un solide pactole, le brave homme s’était retiré au Sussex où sa descendance vit heureuse dans un fort aimable château dominant une opulente vallée.

Alléché par les informations recueillies, Volpior s’est mis en devoir de concocter un plan machiavélique. Lupino enlèvera la nièce du détrousseur de Maharadjas et Volpior récupérera la rançon. Pour mettre au point leur stratégie les deux comploteurs ont pris rendez-vous sur un banc étroit dans un endroit écarté de Hyde Park. Volpior s’assure précautionneusement que le sol ne cache pas de micros, ni les arbres de caméras, que les oiseaux ne sont pas factices et que l’écureuil espiègle qui les observe depuis un moment s’enfuit sur un geste impérieux de l’apprenti kidnappeur. Puis avec la solennité d’un Napoléon exposant à ses généraux son plan la veille de la bataille d’Austerlitz, il s’exprime :

– « En cette période de bals costumés nous nous déguiserons afin de ne pas être reconnus par des inconnus. Je serai travesti en jardinier, masqué d’un loup. Je marcherai portant une houe et ployant le genou. Tu seras grimé en Arlequin, ou vêtu en Charles Quint, arborant ton air coquin. Nous suivrons la donzelle vive comme l’hirondelle.

Tu appliqueras sous son nez un tampon de chloroforme, et, pour clore la forme, tu poseras ton haut de forme sur sa tête. Nous hélerons un « cab », à l’allure de crabe et nous déguerpirons vers un discret cottage. »

Lupino, en bon comparse admiratif, approuve cette sublime tactique. Rendez-vous est pris pour le samedi suivant. Les deux confrères déguisés comme des clowns déambulent dans Hyde Park sous les regards éberlués des badauds étendus sur le gazon.

Pas le moindre autre déguisement à l’horizon pour la simple raison que la période de carnaval est passée depuis une semaine. Mais en bon stratège, sûr de lui, Volpior déclare :

– «  J’ai pour principe d’assumer les erreurs de mes subordonnés. Tant pis nous continuerons note plan. D’ailleurs voilà Balutina. ».

Effectivement la jeune fille arrive de son pas sautillant. Comme le temps est incertain, elle porte sur les épaules une ample cape cramoisie.

– « Notre poulette s’est mutée en Petit Chaperon Rouge » ricane Volpior pour qui le génie français se limite à Trafalgar et Waterloo.

Nos deux comparses emboîtent le pas à la jouvencelle qui s’en va joyeusement fêter l’anniversaire de sa grand-mère. Pour cette unique occasion elle porte dans son petit panier une superbe galette et un bouquet de roses. Empêtrés dans leurs accoutrements les deux garnements ont du mal à suivre leur proie. Enfin, Lupino rejoint la jeune fille et applique le tampon éventé sur son nez. Elle renifle par légitime curiosité, puis percevant la finalité de la manœuvre elle juge bon de s’affaler au sol en murmurant :

– « Enfin un enlèvement ! ».

Les deux gringalets cherchent à la transporter vers un passage de taxis. Mais leurs forces réunies s’avèrent insuffisantes. Heureusement la séquestrée fort coopérative se met à déambuler elle-même tête penchée, démarche incertaine. Les ravisseurs, ravis, se ravisent.

Ils n’ont plus qu’à guider ses pas jusqu’au taxi où elle s’affale sous l’œil médusé du chauffeur qui demande ahuri :

– « Elle est malade ? 

– Non ! Elle est ivre, ivre de liberté comme la biche qui gambade dans les bois. C’est l’ivresse des grands faons. » 

Avec le fatalisme de ceux qui ont préféré ne plus chercher à comprendre le « taxiste » lit l’adresse sur le petit papier remis par Volpior et se dirige vers Tottenham. C’est alors que le téléphone portable du grand stratège retentit. Il écoute, devient blême et dit à son comparse :

– Les parents de notre ami qui devaient nous assurer un gîte ont décidé de passer quelques jours dans leur cottage. »

Puis il rajoute à l’adresse du chauffeur :

-« Arrêtez-vous nous devons changer d’adresse.

– Où allons-nous maintenant ? »Demande le conducteur irrité. Les deux complices partent dans un long conciliabule avant de décider de tout abandonner et de retourner à Hyde Park.

C’est alors que la kidnappée répond de sa voix de somnambule :

– « Taxi, allez à Enfield, la maison de campagne de mes parents conviendra très bien. »

Un peu plus tard, le trio est à pied d’œuvre.

Après examen des lieux les deux malfaiteurs décident d’enfermer leur otage dans la chambre du premier étage afin qu’elle ne puisse s’échapper.

Puis ils ferment à double tour la grosse serrure de la porte. Volpior reprend sa voix solennelle pour dire à son ami :

– « Maintenant à moi la rançon.

– A nous. »

Rectifie timidement Lupino. Volpio juge inutile de répondre. Ce qui est dit, est dit.

Il  prend son téléphone, compose et recompose en vain le numéro des parents de la séquestrée. A ce moment, Balutina entre en trombe dans la pièce et s’écrit :

– « J’ai oublié de vous dire que les téléphones mobiles ne passent pas dans cette zone. Mais vous pouvez appeler de la cabine rouge au coin du chemin vert. »

Volpior se précipite dehors pendant que Balutina se jette aussitôt dans les bras de Lupino stupéfait d’entendre :

 

– « Enfin seuls mon petit loup, allons nous réfugier

    dans la chambre du premier étage.

Impossible Volpior a emporté la clé.

– Inutile nous passerons par l’escalier extérieur et la fenêtre du balcon. »

Lorsque que le chef de la conjuration revient la mine défaite, il trouve les deux tourtereaux fort occupés aux prémices de l’amour. Il tousse bruyamment et annonce :

– « Ton futur beau-père est un pingre. J’espérais pouvoir m’acheter un château, je n’ai même pas obtenu de quoi m’offrir une voiture neuve. La rançon fort, âprement discutée, ne permettra que de nous acheter un cyclomoteur usagé. En plus il a besoin de trois jours pour réunir une si modeste somme et il veut s’assurer que sa fille soit est bien traitée. »

Ce à quoi Balutina répond aussitôt :

– « Aucun problème, je ferai une attestation élogieuse. Quand à la rançon vous vous êtes trompés d’adresse, mes parents sont des gens fort modestes. »

– « Ton  père n’est pas richissime ? »  demande Volpior inquiet.

– «  Pas du tout. Tu as confondu avec son homonyme. Hélas, les mêmes noms n’ont jamais fait les mêmes fortunes.

Puis jugeant inutile d’épiloguer, elle prend la clé de la chambre dans la poche de Volpior. Avec l’aisance et la grâce d’une hétaïre accomplie, elle entraîne son compagnon médusé vers l’escalier qui monte au septième ciel.

Pendant que la lune de miel s’éternise, Volpior déçu et déchu de son rôle de chef de commando se contente d’aller faire les courses car Balutina et Lupino ont un appétit de loup. Mais Volpior peine à renoncer à son rêve de château qui lui aurait permis d’être anobli et admiré de sa Majesté.

Le troisième jour il ne reste plus un shilling vaillant pour s’alimenter. La faim fait sortir dès l’aube le loup de sa tanière.

Il appelle les parents de la donzelle pour s’enquérir du mode de paiement de la rançon. Il est informé qu’une enveloppe sera placée dès l’ouverture du National Galery derrière un tableau de Monet, dans la salle Yves Saint Laurent.

Volpior se rend tout excité au musée, sans même prendre la précaution d’une reconnaissance préalable des lieux. A l’endroit indiqué, une vieille dame essaye malhabilement de glisser l’enveloppe sous le cadre. Volpior ne daigne pas la saluer et lui arrache l’objet des mains. Dans un coin de la salle, deux sbires médusés par cette scène imprévisible interrogent leur chef discrètement par téléphone afin de connaître la tactique décidée par Scotland Yard (New : l’efficacité de l’ancien était contestée). Quand ils reçoivent enfin l’ordre d’arrêter le fuyard, celui-ci a disparu depuis longtemps.

Après une longue course Volpior s’arrête pour reprendre haleine et compter son magot. Hélas, l’enveloppe contient seulement une feuille de papier avec l’inscription « La rançon est au British Museum, sous le pied droit de la momie de Miruntin IV, dernier pharaon de la dynastie très mal connue des Emironthon. » Le kidnappeur s’y rend aussitôt, traverse les salles au pas de charge sans même admirer les milliers de merveilles exposées, sauvées de la destruction par des collectionneurs avertis.

Arrivé à la section égyptologie, une suite de panneaux indique le sarcophage de Miruntin IV. Sans hésiter Volpior plonge sa main et atteint le paquet convoité. C’est alors que sous les yeux des autres visiteurs stupéfaits, la momie se redresse brusquement, saisit le jeune homme à bras le corps et lui intime :

-« Ne bougez plus, je suis l’inspecteur Voltson. Vous allez m’accompagner à Scotland Yard (New : ne pas confondre avec l’ancien). »

 

Volpior doit se livrer à de longues et douloureuses confidences pendant que les tourtereaux sont ramenés au bercail. Magnanimes, les parents de Balutina acceptent de classer l’affaire.

L’inspecteur Voltson, qui a pris Volpior en amitié, le reconduit à son domicile et lui confie.

– « Quand tu auras fini tes études, viens me voir, je crois que tu as toutes les qualités et surtout les défauts pour faire un bon policier ».

C’est ainsi que, dix ans après, Voltson, promu super intendant introduisait Volpior dans son ancien bureau par ces paroles de bienvenue :

« Encore un ancien truand qui a mal tourné ».

 

Westminster – 2003

 

Les consciences ont un prix rarement proportionnel à l’outrecuidance, l’inefficacité et la veulerie des corrompus.

J-P B

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